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La santé mentale positive est une composante de la santé mentale. Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), la santé mentale est un état de bien-être dans lequel une personne peut réaliser son potentiel, faire face aux difficultés normales de la vie, travailler de manière productive et contribuer à sa communauté. Cette définition, adoptée depuis 2001, souligne que la santé mentale ne se réduit pas à l’absence de troubles mentaux, mais inclut aussi des composantes positives essentielles à l’épanouissement humain. Pourtant, dans les politiques publiques comme dans les pratiques cliniques, cette vision intégrative reste souvent marginalisée.

Depuis plusieurs décennies, la santé mentale est majoritairement abordée à travers le prisme de la pathologie, du diagnostic et de la gestion des troubles. Pourtant, un mouvement scientifique d’envergure, porté par des chercheurs comme Carol Ryff, Ed Diener ou Corey Keyes, a ouvert une autre voie : celle de la santé mentale positive. Plutôt que de se contenter de soigner ce qui va mal, il s’agit de comprendre ce qui permet à un individu de bien vivre, de se développer, de résister aux aléas, et de s’épanouir pleinement. Ce paradigme, encore sous-exploité dans les politiques de santé publique, repose sur des fondements théoriques solides et une littérature scientifique en constante expansion. Il redéfinit profondément notre rapport à la santé psychique, en plaçant au cœur du débat la qualité de vie, la résilience et le fonctionnement optimal.

En plein essor dans les recherches en psychologie et en santé publique, le concept de santé mentale positive désigne un état global d’équilibre, d’épanouissement et de capacité à faire face aux défis de la vie. Il devient aujourd’hui un levier central pour comprendre, prévenir et accompagner les trajectoires psychiques dans une société en mutation rapide.

Une définition multidimensionnelle

La santé mentale positive désigne un état dynamique de bien-être et de fonctionnement optimal, dans lequel l’individu mobilise de manière cohérente ses ressources biologiques, émotionnelles, cognitives, relationnelles et existentielles pour maintenir un équilibre psychique, actualiser son potentiel, faire face aux aléas de la vie, entretenir des liens significatifs et contribuer à la société, y compris en présence de troubles psychiques.

Cette définition s’appuie sur une synthèse des modèles théoriques majeurs et des apports empiriques récents de la psychologie positive, du champ de la santé mentale publique et des neurosciences.

Le modèle de fonctionnement positif (Jahoda, 1958). Jahoda fut l’une des premières à rompre avec une vision déficitaire de la santé mentale, en proposant des critères de fonctionnement optimal : autonomie, maîtrise de l’environnement, et actualisation de soi. Elle pose les bases d’une approche fondée sur les capacités humaines plutôt que sur la seule absence de troubles.

Le modèle de bien-être psychologique (Ryff, 1989). Ryff formalise six dimensions constitutives d’une santé mentale positive : autonomie, acceptation de soi, relations positives, maîtrise de l’environnement, but dans la vie, croissance personnelle. Ces dimensions soutiennent l’idée que la santé mentale inclut des processus développementaux, relationnels et existentiels, articulés autour du sens et de l’accomplissement personnel.

Le bien-être subjectif (Diener et al., 1999). Diener propose d’inclure à la santé mentale une dimension subjective, définie par un haut niveau d’affects positifs, un bas niveau d’affects négatifs et une forte satisfaction de vie. Ce modèle met en évidence le rôle des émotions agréables et de l’évaluation cognitive de sa propre vie comme composantes centrales de la santé mentale. 

Le modèle du double continuum (Keyes, 2002). Keyes distingue clairement la santé mentale de la maladie mentale. Il démontre qu’un individu peut avoir un trouble psychique tout en expérimentant un haut niveau de santé mentale positive. Son modèle intègre trois composantes : le bien-être émotionnel (joie, espoir), le bien-être psychologique (sens, autonomie, maîtrise) et le bien-être social (intégration, cohérence sociale, contribution). Ce modèle soutient donc la coexistence potentielle entre trouble et fonctionnement positif, ce que la définition intègre explicitement.

La maturité affective et l’adaptation (Vaillant, 2012). Vaillant insiste sur le rôle de la maturité émotionnelle, de la capacité à aimer et à travailler, et de la croissance continue à l’âge adulte comme indicateurs de santé mentale. Il montre que les mécanismes de défense matures, la résilience affective et la capacité relationnelle sont des déterminants clés du bien-être psychique à long terme.

Le modèle hiérarchique des ressources (Sirgy, 2019). Selon Sirgy, la santé mentale positive se définit par la présence de ressources internes et externes qui favorisent l’adaptation, le fonctionnement optimal et la contribution sociale. Elle englobe plusieurs dimensions :

  • Physiologique : prédominance des neuromédiateurs liés au bien-être (dopamine, sérotonine) par rapport à ceux du stress (cortisol).
  • Émotionnelle : affect positif dominant (joie, sérénité, espoir).
  • Cognitive : évaluation positive de sa propre vie, satisfaction dans différents domaines (travail, famille).
  • Développementale : traits comme la résilience, l’acceptation de soi, la croissance personnelle.
  • Sociale : qualité du soutien perçu, sentiment d’intégration, reconnaissance dans le groupe.

Des études comme celle de Boufellous et al. (2023) confirment que ces dimensions peuvent être mesurées de manière fiable dans différentes populations.

Un modèle qui dépasse la simple absence de trouble

Contrairement à une vision médicale centrée sur les symptômes, la santé mentale positive propose un changement de paradigme. Elle coexiste parfois avec des troubles psychiques, et peut même en favoriser le rétablissement.

Ainsi, Seow et al. (2016) ont montré que des patients atteints de troubles affectifs mais disposant d’un bon niveau de santé mentale positive présentent une meilleure qualité de vie et un meilleur fonctionnement global. De même, Schotanus-Dijkstra et al. (2019) et Iasiello et al. (2019) soulignent que la santé mentale positive est un facteur prédictif de la récupération psychologique, au-delà des traitements médicamenteux ou psychothérapeutiques.

Un concept à ne pas confondre avec le bien-être

La santé mentale positive est souvent assimilée au bien-être subjectif. Pourtant, comme le rappelle Keller (2019), il s’agit de deux notions distinctes : on peut ressentir du bien-être sans avoir les ressources durables pour affronter les défis, ou à l’inverse, présenter une santé mentale positive sans émotions agréables constantes. Cette distinction est essentielle dans une société où l’injonction au bonheur peut masquer des réalités plus complexes.

Une sensibilité à la culture

La santé mentale positive varie selon les cultures. Dans certaines sociétés, la spiritualité, la communauté ou la relation à la nature sont centrales (Karlsson, 2012 ; Vaillant, 2012). Les modèles doivent donc s’adapter aux réalités locales, aux vulnérabilités sociales et aux valeurs spécifiques (Vo & Canty, 2022 ; Coronel-Santos & Rodríguez-Macías, 2022).

Pourquoi promouvoir la santé mentale positive ?

Les programmes de promotion de la santé mentale positive se multiplient. Une revue systématique menée par Teixeira et al. (2019) démontre leur efficacité dans l’amélioration du bien-être, de la résilience et de la qualité de vie en milieu communautaire. Les chercheurs recommandent leur intégration dans les politiques publiques et les pratiques cliniques.

Iasiello et al. (2019) et Margraf et al. (2024) vont plus loin : pour être pertinents, les systèmes de santé mentale doivent évaluer simultanément les symptômes négatifs et les marqueurs de santé mentale positive.

Facteurs associés et populations à risque

Certaines variables influencent la santé mentale positive : le statut marital, la santé physique, la spiritualité, ou encore la qualité des relations sociales (Gilmour, 2014). À l’inverse, vivre seul ou dans l’isolement social peut être un facteur de fragilisation, comme l’indique Tamminen et al. (2019) dans une méta-analyse.

Ces constats appellent à une approche globale, sensible aux déterminants sociaux de la santé et à la diversité des trajectoires individuelles.

Enjeux cliniques et sociétaux

Promouvoir la santé mentale positive n’est pas qu’un objectif individuel : c’est un levier puissant de prévention, de réduction des inégalités et d’amélioration de la qualité de vie dans tous les âges. Une approche globale (biopsychosociale, contextuelle, culturelle) est nécessaire pour intégrer la santé mentale dans les politiques publiques (Barry, 2009).

Une priorité pour le futur de la santé mentale

La santé mentale positive, loin d’être une utopie ou un luxe, devient une nécessité stratégique pour la prévention, le soin et l’accompagnement durable. Elle invite à reconnaître les forces, à soutenir les ressources et à bâtir des environnements qui rendent possible l’épanouissement.

Comme le montrent Margraf et al. (2024), cette approche n’est pas qu’un idéal humaniste : c’est une voie scientifiquement fondée pour faire évoluer notre manière de penser et de soutenir la santé psychique.

Conclusion

Redéfinir la santé mentale en y intégrant pleinement ses dimensions positives n’est pas une option, mais une exigence contemporaine.

Face aux défis sociétaux, environnementaux et psychiques du XXIe siècle, miser sur les forces humaines, les dynamiques relationnelles, l’accomplissement personnel et la contribution sociale devient une stratégie de résilience collective.

La santé mentale positive apparaît comme une voie scientifiquement fondée, éthiquement engageante et socialement pertinente pour transformer durablement notre rapport à la santé psychique.

Références principales

Barry, M. (2009). Addressing the Determinants of Positive Mental Health. International Journal of Mental Health Promotion, 11, 17–4. https://doi.org/10.1080/14623730.2009.9721788

Boufellous, S., Sánchez-Teruel, D., Robles-Bello, M., Lorabi, S., & Mendoza-Bernal, I. (2023). Psychometric Properties of the Positive Mental Health Scale. SAGE Open. https://doi.org/10.1177/21582440231172743

Carr, A. (2012). Positive mental health: a research agenda. World Psychiatry, 11. https://doi.org/10.1016/j.wpsyc.2012.05.016

Coronel-Santos, M., & Rodríguez-Macías, J. (2022). Integral definition and conceptual model of mental health.Frontiers in Sociology. https://doi.org/10.3389/fsoc.2022.978804

Diener, E., Suh, E. M., Lucas, R. E., & Smith, H. L. (1999). Subjective well-being: Three decades of progress.Psychological Bulletin, 125(2), 276–302. https://doi.org/10.1037/0033-2909.125.2.276

Galderisi, S., Heinz, A., Kastrup, M., Beezhold, J., & Sartorius, N. (2015). Toward a new definition of mental health.World Psychiatry, 14. https://doi.org/10.1002/wps.20231

Karlsson, H. (2012). Problems in the definitions of positive mental health. World Psychiatry, 11.

Keller, S. (2019). What Does Mental Health Have to Do with Well‐Being? https://doi.org/10.1111/bioe.12702

Keyes, C. L. M. (2002). The mental health continuum: From languishing to flourishing in life. Journal of Health and Social Behavior, 43(2), 207–222. https://doi.org/10.2307/3090197

Margraf, J., Zhang, X., Lavallee, K., & Schneider, S. (2020, 2023). Longitudinal prediction of positive mental health.PLOS ONE.

Ryff, C. D. (1989). Happiness is everything, or is it? Explorations on the meaning of psychological well-being. Journal of Personality and Social Psychology, 57(6), 1069–1081. https://doi.org/10.1037/0022-3514.57.6.1069

Saboor, S., Medina, A., & Marciano, L. (2024). Application of Positive Psychology in Digital Interventions for Children, Adolescents, and Young Adults: Systematic Review and Meta-Analysis of Controlled Trials. JMIR Mental Health. https://doi.org/10.2196/56045

Sirgy, M. J. (2019). Positive balance: a hierarchical perspective of positive mental health. Quality of Life Research, 28, 1921–1930. https://doi.org/10.1007/s11136-019-02145-5

Vaillant, G. E. (2012). Positive mental health: is there a cross‐cultural definition? World Psychiatry, 11. https://doi.org/10.1016/j.wpsyc.2012.05.006

Vo, T., & Canty, L. (2022). Global mental health experiences of single mothers: A mixed methods research synthesis.Journal of Advanced Nursing. https://doi.org/10.1111/jan.15461